Face à une pénurie mondiale d’eau douce qui s’aggrave avec le changement climatique et la croissance démographique, le dessalement de l’eau de mer apparaît comme une lueur d’espoir. Capable de transformer l’océan, immense réservoir salé, en eau potable, cette technologie séduit de plus en plus de régions arides. Mais derrière cette promesse d’abondance se cachent des défis environnementaux et économiques majeurs. Décryptage d’une solution à double tranchant.
L’eau salée, une ressource (presque) infinie ?
Le constat est brutal : moins de 3% de l’eau sur Terre est douce, et seule une infime partie est facilement accessible. Pendant ce temps, 97% de l’eau est salée, principalement dans les océans. Le dessalement vise précisément à exploiter cette ressource quasi illimitée. Les deux techniques principales dominent le marché :
- L’osmose inverse (70% des usines) : L’eau de mer est forcée sous haute pression à travers des membranes semi-perméables qui retiennent le sel et les impuretés. C’est la méthode la plus courante aujourd’hui.
- La distillation (thermique) : L’eau de mer est chauffée pour produire de la vapeur, qui est ensuite condensée en eau pure, laissant le sel derrière elle. Souvent couplée à des centrales électriques pour récupérer la chaleur perdue.
Les promesses alléchantes du dessalement
- Sécurité hydrique pour les régions arides : Pour les pays du Golfe, l’Australie, la Californie ou l’Espagne, le dessalement est devenu une bouée de sauvetage. Il permet de s’affranchir de la dépendance aux pluies capricieuses et aux nappes phréatiques surexploitées. Des villes comme Dubaï dépendent aujourd’hui massivement de cette eau « fabriquée ».
- Une ressource inépuisable : Contrairement aux rivières ou aux nappes qui peuvent s’épuiser, l’océan offre un potentiel immense. Le dessalement pourrait théoriquement fournir de l’eau douce à l’échelle planétaire.
- Progrès technologiques constants : Les coûts ont considérablement chuté (divisés par 4 en 20 ans pour l’osmose inverse), l’efficacité énergétique s’améliore, et les membranes deviennent plus performantes et durables. L’innovation ouvre la voie à des usines plus compactes et moins gourmandes.
- Un moteur de développement : En garantissant l’accès à l’eau, le dessalement peut soutenir le développement économique, l’agriculture et améliorer la qualité de vie dans les zones côtières défavorisées.
Les dangers et les défis : Le revers de la médaille
Malgré ces atouts, le dessalement n’est pas sans risques, et son expansion soulève de sérieuses inquiétudes :
- L’impact environnemental : La saumure, poison des océans : Le principal rejet des usines est la saumure, une eau extrêmement salée (environ 2 fois plus que l’eau de mer) et chargée de produits chimiques (anti-tartres, biocides, métaux lourds des membranes). Rejetée en mer, cette saumure crée des « zones mortes » hyper-salines qui asphyxient la faune et la flore marines, perturbent les écosystèmes côtiers et peuvent contaminer les nappes phréatiques littorales. La gestion de ce déchet toxique est le défi écologique numéro un.
- La soif d’énergie : Un coût énergétique colossal : Le dessalement est très énergivore, surtout la distillation. Produire 1 mètre cube d’eau douce par osmose inverse nécessite encore 3 à 4 kWh d’électricité (l’équivalent de la consommation quotidienne d’un réfrigérateur). Cette demande accrue en énergie, souvent issue de combustibles fossiles, augmente l’empreinte carbone et contribue au réchauffement climatique – le problème même que le dessalement est censé aider à résoudre.
- Le coût économique : Une eau de luxe : Si les coûts ont baissé, l’eau dessalée reste 2 à 5 fois plus chère que l’eau douce traditionnelle (traitement de surface ou nappe). Cela la réserve souvent aux pays riches ou aux situations d’urgence, creusant les inégalités d’accès à l’eau. Les investissements initiaux pour construire les usines sont également gigantesques.
- Autres impacts négligés :
- Prélèvement en mer : Les prises d’eau peuvent aspirer et tuer des organismes marins (œufs, larves, petits poissons).
- Déchets solides : Les membranes usagées, souvent contaminées, posent un problème de recyclage complexe.
- Occupation de l’espace : Les grandes usines et leurs infrastructures (canalisations, pompes) impactent les paysages côtiers.
Vers un dessalement durable ?
La solution n’est pas d’abandonner le dessalement, mais de le rendre plus responsable. Plusieurs pistes sont explorées :
- Énergies renouvelables : Coupler les usines à des centrales solaires ou éoliennes pour réduire l’empreinte carbone (ex: l’usine de Perth en Australie).
- Innovations technologiques : Développer des membranes plus efficaces, moins énergivores et plus résistantes ; explorer des procédés alternatifs comme l’électrodialyse ou la distillation à membrane.
- Gestion intelligente de la saumure : Diluer les rejets avant rejet, les mélanger avec des eaux usées traitées, ou mieux encore, valoriser les sels et minéraux extraits (lithium, magnésium, uranium) pour en faire des ressources économiques.
- Approche intégrée : Le dessalement ne doit pas être la seule solution. Il doit s’inscrire dans une stratégie globale incluant la réduction des gaspillages, le recyclage des eaux usées, la protection des écosystèmes naturels et une gestion durable des ressources existantes.
Conclusion : Une eau précieuse à manier avec précaution
Le dessalement de l’eau de mer est une technologie prometteuse, voire indispensable pour certaines régions face à la crise de l’eau. Il offre une sécurité d’approvisionnement précieuse et démontre une capacité d’innovation remarquable. Pourtant, son déploiement à grande échelle sans une gestion rigoureuse de ses impacts environnementaux et énergétique serait une erreur catastrophique. L’eau dessalée est une ressource précieuse, mais elle n’est ni « miraculeuse » ni « bon marché ». Son avenir dépendra de notre capacité à en faire un outil durable, économe en énergie, respectueux des océans et intégré dans une vision globale de la gestion de cette ressource vitale. L’eau de mer peut devenir une source de vie, mais à condition de ne pas la transformer en poison pour la planète.